Mireille Havet | Journal 1927-1928
Héroïne, cocaïne ! La nuit s'avance…
Après avoir publié des poèmes et des contes fantastiques – La Maison dans l’œil du chat (G. Crès, 1917) et un roman à clé, Carnaval (Albin Michel, 1923) –, celle qui fut autrefois la prometteuse « petite poyétesse » d’Apollinaire s’enfonce dans une terrible impasse :
“Pas d’argent. Pas de rémission. Pas d’amis. Pas d’explication possible à leur donner qui, désormais, justifie que cet état se prolonge, du reste, et que je sois toujours empêchée de gagner normalement ma vie. Je ne suis plus un enfant qui attire la compassion et un intérêt attendri. Comme les autres, seule comme les autres, un cas entre des millions, sans autre singularité qu’un glorieux et étincelant début et une fin lamentable, complètement anonyme et obscure pour tout ce même monde qui, à 15, 16, 17 et jusqu’à 25 ans même, attendait de moi son divertissement intellectuel principal, m’accordait du génie et, en échange, me promettait une gloire sans précédent.”
Dans ces années 1927-1928, hantées par l’idée du suicide, passent les figures du poète Pierre de Massot, de sa compagne Robbie Robertson – qui devient celle de Mireille Havet –, de l’écrivain anglais Mary Butts, des actrices Alice Simond et Renée Fagan, de l’Américaine Norma Crandall…
Désormais ses amantes sont plus désargentées ou plus égoïstes, les drogues dures ne la lâchent plus et les vrais amis s’éloignent. Mais l’écrivain Mireille Havet persiste à travers les seules “pages d’injures et d’infamie” de son Journal.
«Progressivement, je le répète, comme un rouleau compresseur qui avance, ne connaît aucun obstacle et fait lentement son travail d’heure en heure, la morphine a tout détruit, tout sapé, tout anéanti, et j’ai tout perdu, mon amie, son argent, nos maisons, ma confiance, ma santé, mes années, mon talent, mon courage, ma fraîcheur, l’amour, même l’amitié, la poésie qui s’est retirée de moi comme la mer abandonne un rocher trop ingrat et qui, désormais, déchiqueté, rude, délaissé, presque effrayant dans son isolement dès lors éternel, s’élèvera seul des flots, sans oiseau et sans graine, sans terre surtout pour qu’y germent les graines apportées des oiseaux, sans rien à l’infini et dans l’Eternité que le ciel et la mer, tout deux aussi distants et aussi éloignés de lui.
J’ai tout perdu, ma vie, mon instinct de vivre, ma répugnance du mal, mon goût de me soigner. La morphine, cette écharde invisible du début, est devenue le poignard, la hallebarde qui, à travers mon corps, a transpercé mon cœur et m’a tuée, m’a clouée au sol le plus bas, à la terre boueuse où l’on m’enterrera… enfin ! La morphine, et sa sœur la cocaïne, et l’héroïne son aînée, sept fois plus dangereuse et toxique qu’aucun des poisons, ont peu à peu tout remplacé et maintenant me restent seules.
Comment voulez vous que, n’ayant plus rien, je n’aie pas fait le pacte du diable, de l’âme vendue, avec mes pires ennemies ? C’est pour les acheter que je donne mes derniers billets, que j’emprunte, mendie à n’importe qui. Je vendrai sans doute tout pour cette unique et dominante dépense qui me détruit, comme le vitriol dissout le squelette même de l’homme et ses bagues, car même tous les métaux sont détruits par lui et son acide inguérissable et brûlant.»
Jeudi 24 mai 1928
Précisions
Édition établie par Pierre Plateau, préfacée par Patrick Kéchichian et annotée par Claire Paulhan, avec l'aide de Roland Aeschimann, Pierre Plateau et Dominique Tiry. Annexes, Bibliographie, Repères biographiques, Index.
47 illustrations et fac-similés, N. & bl.
Collection "Pour Mémoire".
Format : 13 x 21, 7 cm. 352 pages.
ISBN : 978-2-912222-33-6
Tirage : 1200 exemplaires
Prix de vente public : 35 €
Héroïne, cocaïne ! La nuit s'avance…
Après avoir publié des poèmes et des contes fantastiques – La Maison dans l’œil du chat (G. Crès, 1917) et un roman à clé, Carnaval (Albin Michel, 1923) –, celle qui fut autrefois la prometteuse « petite poyétesse » d’Apollinaire s’enfonce dans une terrible impasse :
“Pas d’argent. Pas de rémission. Pas d’amis. Pas d’explication possible à leur donner qui, désormais, justifie que cet état se prolonge, du reste, et que je sois toujours empêchée de gagner normalement ma vie. Je ne suis plus un enfant qui attire la compassion et un intérêt attendri. Comme les autres, seule comme les autres, un cas entre des millions, sans autre singularité qu’un glorieux et étincelant début et une fin lamentable, complètement anonyme et obscure pour tout ce même monde qui, à 15, 16, 17 et jusqu’à 25 ans même, attendait de moi son divertissement intellectuel principal, m’accordait du génie et, en échange, me promettait une gloire sans précédent.”
Dans ces années 1927-1928, hantées par l’idée du suicide, passent les figures du poète Pierre de Massot, de sa compagne Robbie Robertson – qui devient celle de Mireille Havet –, de l’écrivain anglais Mary Butts, des actrices Alice Simond et Renée Fagan, de l’Américaine Norma Crandall…
Désormais ses amantes sont plus désargentées ou plus égoïstes, les drogues dures ne la lâchent plus et les vrais amis s’éloignent. Mais l’écrivain Mireille Havet persiste à travers les seules “pages d’injures et d’infamie” de son Journal.
«Progressivement, je le répète, comme un rouleau compresseur qui avance, ne connaît aucun obstacle et fait lentement son travail d’heure en heure, la morphine a tout détruit, tout sapé, tout anéanti, et j’ai tout perdu, mon amie, son argent, nos maisons, ma confiance, ma santé, mes années, mon talent, mon courage, ma fraîcheur, l’amour, même l’amitié, la poésie qui s’est retirée de moi comme la mer abandonne un rocher trop ingrat et qui, désormais, déchiqueté, rude, délaissé, presque effrayant dans son isolement dès lors éternel, s’élèvera seul des flots, sans oiseau et sans graine, sans terre surtout pour qu’y germent les graines apportées des oiseaux, sans rien à l’infini et dans l’Eternité que le ciel et la mer, tout deux aussi distants et aussi éloignés de lui.
J’ai tout perdu, ma vie, mon instinct de vivre, ma répugnance du mal, mon goût de me soigner. La morphine, cette écharde invisible du début, est devenue le poignard, la hallebarde qui, à travers mon corps, a transpercé mon cœur et m’a tuée, m’a clouée au sol le plus bas, à la terre boueuse où l’on m’enterrera… enfin ! La morphine, et sa sœur la cocaïne, et l’héroïne son aînée, sept fois plus dangereuse et toxique qu’aucun des poisons, ont peu à peu tout remplacé et maintenant me restent seules.
Comment voulez vous que, n’ayant plus rien, je n’aie pas fait le pacte du diable, de l’âme vendue, avec mes pires ennemies ? C’est pour les acheter que je donne mes derniers billets, que j’emprunte, mendie à n’importe qui. Je vendrai sans doute tout pour cette unique et dominante dépense qui me détruit, comme le vitriol dissout le squelette même de l’homme et ses bagues, car même tous les métaux sont détruits par lui et son acide inguérissable et brûlant.»
Jeudi 24 mai 1928
Précisions
Édition établie par Pierre Plateau, préfacée par Patrick Kéchichian et annotée par Claire Paulhan, avec l'aide de Roland Aeschimann, Pierre Plateau et Dominique Tiry. Annexes, Bibliographie, Repères biographiques, Index.
47 illustrations et fac-similés, N. & bl.
Collection "Pour Mémoire".
Format : 13 x 21, 7 cm. 352 pages.
ISBN : 978-2-912222-33-6
Tirage : 1200 exemplaires
Prix de vente public : 35 €
Héroïne, cocaïne ! La nuit s'avance…
Après avoir publié des poèmes et des contes fantastiques – La Maison dans l’œil du chat (G. Crès, 1917) et un roman à clé, Carnaval (Albin Michel, 1923) –, celle qui fut autrefois la prometteuse « petite poyétesse » d’Apollinaire s’enfonce dans une terrible impasse :
“Pas d’argent. Pas de rémission. Pas d’amis. Pas d’explication possible à leur donner qui, désormais, justifie que cet état se prolonge, du reste, et que je sois toujours empêchée de gagner normalement ma vie. Je ne suis plus un enfant qui attire la compassion et un intérêt attendri. Comme les autres, seule comme les autres, un cas entre des millions, sans autre singularité qu’un glorieux et étincelant début et une fin lamentable, complètement anonyme et obscure pour tout ce même monde qui, à 15, 16, 17 et jusqu’à 25 ans même, attendait de moi son divertissement intellectuel principal, m’accordait du génie et, en échange, me promettait une gloire sans précédent.”
Dans ces années 1927-1928, hantées par l’idée du suicide, passent les figures du poète Pierre de Massot, de sa compagne Robbie Robertson – qui devient celle de Mireille Havet –, de l’écrivain anglais Mary Butts, des actrices Alice Simond et Renée Fagan, de l’Américaine Norma Crandall…
Désormais ses amantes sont plus désargentées ou plus égoïstes, les drogues dures ne la lâchent plus et les vrais amis s’éloignent. Mais l’écrivain Mireille Havet persiste à travers les seules “pages d’injures et d’infamie” de son Journal.
«Progressivement, je le répète, comme un rouleau compresseur qui avance, ne connaît aucun obstacle et fait lentement son travail d’heure en heure, la morphine a tout détruit, tout sapé, tout anéanti, et j’ai tout perdu, mon amie, son argent, nos maisons, ma confiance, ma santé, mes années, mon talent, mon courage, ma fraîcheur, l’amour, même l’amitié, la poésie qui s’est retirée de moi comme la mer abandonne un rocher trop ingrat et qui, désormais, déchiqueté, rude, délaissé, presque effrayant dans son isolement dès lors éternel, s’élèvera seul des flots, sans oiseau et sans graine, sans terre surtout pour qu’y germent les graines apportées des oiseaux, sans rien à l’infini et dans l’Eternité que le ciel et la mer, tout deux aussi distants et aussi éloignés de lui.
J’ai tout perdu, ma vie, mon instinct de vivre, ma répugnance du mal, mon goût de me soigner. La morphine, cette écharde invisible du début, est devenue le poignard, la hallebarde qui, à travers mon corps, a transpercé mon cœur et m’a tuée, m’a clouée au sol le plus bas, à la terre boueuse où l’on m’enterrera… enfin ! La morphine, et sa sœur la cocaïne, et l’héroïne son aînée, sept fois plus dangereuse et toxique qu’aucun des poisons, ont peu à peu tout remplacé et maintenant me restent seules.
Comment voulez vous que, n’ayant plus rien, je n’aie pas fait le pacte du diable, de l’âme vendue, avec mes pires ennemies ? C’est pour les acheter que je donne mes derniers billets, que j’emprunte, mendie à n’importe qui. Je vendrai sans doute tout pour cette unique et dominante dépense qui me détruit, comme le vitriol dissout le squelette même de l’homme et ses bagues, car même tous les métaux sont détruits par lui et son acide inguérissable et brûlant.»
Jeudi 24 mai 1928
Précisions
Édition établie par Pierre Plateau, préfacée par Patrick Kéchichian et annotée par Claire Paulhan, avec l'aide de Roland Aeschimann, Pierre Plateau et Dominique Tiry. Annexes, Bibliographie, Repères biographiques, Index.
47 illustrations et fac-similés, N. & bl.
Collection "Pour Mémoire".
Format : 13 x 21, 7 cm. 352 pages.
ISBN : 978-2-912222-33-6
Tirage : 1200 exemplaires
Prix de vente public : 35 €